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Ricardo Beliel, photographe journaliste, a écrit plusieurs articles dans des grandes revues comme Ícaro (Revue de bord de VARIG) ou Grands Reportages, sur la vie des jangadeiros actuels. En voici deux:

1-Ícaro No 185, Janvier 2000.
2-Grands Reportages, Février 2004.  

1-Ícaro No 185, Janvier 2000.
Texte et photos de Ricardo Beliel.

Ils ont 71 ans, et tous les matins, dès l'aube, ils partent en mer pêcher à 20 km des côtes. Ils affrontent mer démontée, vent, pluie, soleil violent qui abîme les yeux, mais jamais ils ne songent à la retraite. Zé Tiongo et Biel sont juste un peu ennuyés quand ils accostent la jangada au milieu de ce « banc de personnes », sur la plage de Morro Branco. Ensuite, ils montent au village incrusté en haut de la falaise, où il y a même une « Place des Mensonges ». C'est l'heure de se rappeler les vieilles anecdotes, comme les trois fois où Tiongo a eu sa jangada chavirée par d'énormes cargos en haute mer.

Ricardo Beliel 05

Le lendemain matin, portées par le vent de terre, les jangadas courent vers les zones de pêche – les marambaias. Chaque maître de jangada veille sur sa marambaia comme sur un verger où il cueille des fruits de mer. Il y dépose des pièges pour les langoustes, les filets manzuás, à 90 brasses de fond pendant que, à la ligne, il pêche des bijupirás, des guajubas, des ariacós, des sapurunas, autant de poissons que les 23 paumes de la jangada peuvent en contenir. On raconte que, en cas de nécessité, quand il manque de l'appât pour le poisson, les vieux jangadeiros en arrivent à se couper un morceau de talon avec leur couteau. Sacrifice relatif pour celui qui passe jusqu'à quatre nuits d'affilée en mer, dormant attaché par un bout' pour ne pas tomber à l'eau. Avec, en plus, les pirates des plages distantes qui bien souvent viennent voler les langoustes dans les manzuás.

Le vent de nord-est ramène les jangadas, qui avancent en zig-zag, comme pour une régate sans but. Sur la plage, les jangadeiros partagent entre eux et avec le propriétaire le produit de la pêche. Quelquefois, ils en vendent une partie aux marchantes. Ce mot, dérivé du français « marchand », rappelle le temps où les Français pêcheurs de langoustes débarquaient dans les villages, à la recherche de ravitaillement et de filles rêveuses. Dans les années 60, le président João Goulart ordonna à la Marine de bombarder les navires de pêche français, ce qui faillit nous valoir une « guerre des Malouines » avec la France.

Chico Pires, le constructeur de jangadas le plus demandé de Fleixeiras malgré ses 78 ans, se souvient de quand il lui fallait faire 170 km à la voile pour aller à Fortaleza acheter quelque chose. Aujourd'hui, une route moderne relie la capitale à la petite ville. Et maintenant les jangadas ne sont plus construites à partir de six troncs de piúba, mais avec des planches. Cependant, la mutation de Canoa Quebrada en centre touristique n'a en rien changé les habitudes du sexagénaire Zé de Cum. Avec son fils adoptif Chico Rato, il pêche sur les marambaias les plus distantes. Quand il ne voit plus un seul point de la côte, il se dirige grâce aux courants, à la couleur de l'eau, ou bien grâce au soleil et aux étoiles. Tous deux restent quatre jours ancrés sur une poita en haute mer, guettant un gros poisson. Zé de Cum n'oubliera jamais le mérou de 270 kg qu'il a pêché à la ligne, moyennant des heures de résistance et beaucoup de patience. A terre, il fabrique des jangadas miniatures pour les enfants et conte les secrets et combats de pêche avec la force et la précision d'un Hemingway dans « Le Vieil Homme et la Mer ».

Ricardo Beliel

Entre dunes et falaises, Vila Estevão, voisine de Canoa Quebrada, semble perdue dans le temps. Les premières maisons ont déjà été englouties par la mer. Antônio Miolo, l'un des habitants, raconte que cela fait déjà « un bon paquet d'années ». Il a plus de 80 ans. Presque aveugle, il ne pêche plus. Mais tous les matins, il marche jusqu'à la plage pour le simple plaisir d'entendre les jangadas poussées à la mer sur les rondins de carnaúba. Sa présence, dit-on, garantit une bonne pêche. Assises devant la maison, ses filles, Morena et Pequena, tressent des morceaux de tissu selon une technique datant du temps des Maures au Portugal, et connue sous le nom de « labyrinthe ». Il faut des mois pour achever un ouvrage.

On ne peut pêcher la langouste que de mai à début décembre. C'est durant cette période que, à l'entrée du village, une paillote attire ceux qui apprécient une bonne langouste. Son propriétaire, Toinho Correia, brille dans l'art et la manière d'accommoder ce mets de façon créative. Il raconte qu'il est né peu après un banquet à base de langouste que sa mère avait préparé et conclut, orgueilleux: « Je suis né en sachant déjà ».

 


 

 

2-Grands Reportages, Février 2004.
Texte de Ricardo Beliel et Patrick Piro,
Photos de Ricardo Beliel.

Il est quatre heures du matin à Vila dos Esteves, petit village de l’Etat du Ceara, sur le littoral nord du Brésil. Comme un somnambule, Gueguel festonne dans le noir entre les cocotiers et la clôture des jardins, luttant contre le vent et le sable qui vole. Trajet mille fois parcouru. A la main, un grand panier tressé, plusieurs mètres de ligne enroulée, quelques hameçons, et des appâts dans une boîte de conserve – petits morceaux de viande séchée, manioc, biscuits. Sur place, Gueguel retrouve quatre collègues, aussi pâteux que lui. Quelques mots à voix basse, et les voilà qui enfilent l’étroit sentier qui se plonge entre les falaises, raide, jusqu’à la plage. Les nuages cachent la lune. Mauvais temps. Il faut attendre. Au bout d’une heure, un sifflement, là-haut. Le signal attendu : le vent de terre se lève enfin. Les hommes se lèvent et s’activent, pour pousser les jangadas à la mer. Il faut d’abord vaincre la barre. Mais bientôt, les frêles embarcations glissent vers le large, où l’horizon blanchissant prodigue un encouragement.


Presque rien n’a changé au pays des jangadeiros depuis l’époque où les Portugais découvrirent, il y a 500 ans, les indiens du Nordeste brésilien naviguer sur ces esquifs rudimentaires. Six troncs liés, deux voiles, une rame pour gouvernail, pas de boussole. Aujourd’hui, des planches remplacent les troncs, rendant tout au mieux la jangada plus facile à rétablir après un chavirage. « C’est un cas unique de survivance de ce type d’embarcation dans le monde », témoigne Luis da Câmara Cascudo, auteur d’une étude ethnographique sur les jangadas. A 78 ans, Chico Pires, construit encore des embarcations, et sa réputation dépasse son village de Flexeiras, même si les clients se font désormais plus rares. « Avant, pour aller à la capitale Fortaleza, c’était 170km par la mer, en jangada. »


Gueguel, agrippé au mât, se frotte les yeux et demande la couleur de l’eau. Il fait équipe avec Vitor, son neveu de 18 ans. Manoeuvrant attentivement la barre, ce dernier guette la moindre variation subtile du paysage, à l’affût d’un contrordre du vieux commandant. A 63 ans, il a presque perdu la vue, brûlée par le sel et le soleil. Il pêche depuis l’âge de huit ans, et connaît par cœur le langage des fonds. Bleu nuit, eaux profondes ; vert émeraude, les récifs sous la coque, ou bien la terre proche ; mer calme, mais surface agitée, un grand banc de petits poissons, et d’autres plus gros en dessous pour les manger : c’est là qu’il faut jeter les hameçons. Parfois, quand les appâts manquent, les pêcheurs racontent qu’ils se découpent un petit morceau de talon. Tous ont leur « coin » à eux, épaves ou récifs poissonneux, dont ils entretiennent la production comme un verger, soucieux de ne jamais prélever en excès langoustes, bejupiras, guaiubas, ariacos ou sapurunas.


Et l’on reste là, indéfiniment sous le soleil, à attendre que ça morde en se racontant encore une fois la fabuleuse histoire du mérou de 270Kg, vaincu après des heures de lutte harassante…


Les vieux jangadeiros n’ont pas tous trouvé, comme Gueguel, la parade aux outrages de l’âge. Incapable de renoncer à l’ivresse de la houle, ils sont encore nombreux à affronter seuls les périls de la mer, pour des campagnes de pêche qui durent parfois quatre jours, arrimés au mât quand il faut prendre quelques heures de repos.


Il y faut un sacré courage, Zé Tiongo, 72 ans, rie de sa frayeur au souvenir de ces énormes cargos qui ont failli, à trois reprises, l’envoyer par le fond. Les cicatrices révèlent les tragédies de la mer, attaque de requins, naufrage au milieu de la tempête, etc. A Morro Branco, en haut de la falaise l’après-midi, il aime évoquer sans fin avec ses compagnons pêcheurs ces vieilles « choses » qui n’appartiennent qu’à eux. On y parle sûrement de temps à autre du plus téméraire d’entre eux. Dans tous les villages nichés au milieu des immenses dunes de sable blanc, nul n’ignore la fabuleuse épopée de Chico da Matilde, pêcheur du Ceara du milieu du XIX siecle. Les navires négriers, qui ne pouvaient accoster sur la plage, avaient besoin des jangadas pour décharger leur « bois d’ébène ». Un beau jour, Chico da Matilde et ses collègues s’en furent au-devant d’un navire pour annoncer au commandant que l’esclavage avait été aboli au ceara, et qu’ils refusaient désormais de transborder les esclaves à terre. Un acte de boycott qui trouvera sa confirmation légale en 1883, quand l’Assemblée du Ceara décrétera officiellement la fin de l’esclavage. Celui qui sera glorifié sous le nom de Dragon de la mer prit alors sa jangada, baptisée Liberté, pour naviguer et propager la nouvelle – incroyable périple -, jusqu’à Rio de Janeiro, où il fut reçu en triomphateur par les meneurs de la campagne abolitionniste.